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Bientôt Brest ne sera plus au bout du monde....

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Bientôt Brest ne sera plus au bout du monde....

Actualité locale
Publié le 11/03/2020 - Mis à jour le 11/03/2020

Bientôt Brest ne sera plus au bout du monde....

 

 

Brest, et au milieu coule une rivière

Cet été, grâce à la LGV, Brest ne sera plus au bout du monde. L?occasion de découvrir cette ville chantée par le poète Jacques Prévert dont on célèbre le quarantième anniversaire de décès. Et où un vent frais, arty et archi, souffle en son c?ur retrouvé?

La rade n'en revient pas. Les Yannick et les Ti-Zef se pincent pour le croire. Même dans les rangs de la Royale, du matelot à l'amiral, on n'aurait pas parié sa solde ! Et pourtant, ce sont bien des touristes qui s'amusent à prendre le téléphérique au-dessus de la rivière Penfeld, enjambant la cohorte d'embarcations grises de la Marine nationale qui y stationnent. Ils rejoignent un vaste complexe encore un peu vide, où les enfants font du roller quand leurs grands-parents contemplent les vieilles machines-outils qui rappellent le passé industriel des lieux. Cet ancien couvent des Capucins, reconverti en atelier de construction de navires militaires, fermé au regard des Brestois par de hauts murs durant des décennies, est devenu un lieu de vie et de culture. On surnommait l'endroit « la cité interdite » de Brest. C'est désormais l'atout charme d'une ville qui s'imagine un avenir de moins en moins militaire.

Pourtant, la Marine à Brest, c'est une chose sérieuse depuis 1631 et l'installation d'un arsenal pour construire les fameux grands mâts qui vogueront sur toutes les mers du globe. Aujourd'hui encore, Brest est l'un des deux seuls ports militaires français avec Toulon, ce sudiste qui héberge désormais la majorité de la flotte. Une décision stratégique, les conflits et zones de turbulences étant désormais localisés en Méditerranée et plus au sud encore. Mais à Brest, on le sait bien, les vrais marins sont Bretons. Voir Brest se « civiliser », c'est donc un tsunami qui doit faire se retourner dans leurs tombes les pères fondateurs que sont Richelieu, Colbert et Vauban. Eux qui ont déployé tout leur génie à transformer ce bras de la rivière Penfeld, protégé par une rade immense, en place inexpugnable pour la construction des navires et des galions, jusqu'au porte-avions Charles de Gaulle. La base militaire, nichée sur la rivière et à son embouchure, sépare toujours la rive droite où vivaient les ouvriers bretons (les Yannick) et la rive gauche, plus bourgeoise, plus « française » aussi, où l'on trouvait les commis de l'État, les fonctionnaires, les gradés de la marine, les commerçants... Bref les Ty-Zef. Deux populations qui vivent ensemble sans se côtoyer vraiment, aujourd'hui encore. Les Yannick dans le quartier populaire de Recouvrance alors que les Ty-Zef vous diront qu'ils habitent tout simplement « Brest même » !

Mais tout ce petit monde se retrouve désormais au même endroit : autour de la rivière Penfeld, le vrai coeur de Brest qui bat plus fort que jamais au rythme des rénovations urbaines. Des « révolutions urbaines », plutôt, qui ont débuté avec l'arrivée d'un tram reliant les deux rives en passant sur le pont de Recouvrance aux lignes bétonnées et droites très graphiques. Tout s'accélère dès lors que la Marine nationale commence à se dessaisir des territoires qu'elle a occupés (les Brestois disent « privatisés ») depuis des siècles ! Résultat, la ville « civile » se réapproprie des espaces réhabilités comme le Jardin des Explorateurs. Installé dans la Batterie du Cavalier, il abrite des espèces botaniques rapportées des quatre coins du monde par des botanistes partis de Brest. Une passerelle offre au promeneur une vue imprenable sur le Château (qui héberge un intéressant musée de la Marine), sur l'embouchure de la Penfeld, le port militaire et plus largement sur la rade. On descend ensuite à la marina du Château pour se balader sur les quais de ce nouveau port de plaisance où s'alignent les restaurants et les bars. Un petit air de Riviera flotte sur ce qui était jusqu'à peu une zone militaire inaccessible, protégée par trois épaves de vieux bâtiments de guerre servant de brise-lames. Sur ces quais hier peu fréquentables, on embarque désormais sur La Recouvrance, la réplique d'une goélette du xixe siècle reconstruite à Brest et sur laquelle on s'offre des sorties en mer...

Retour vers la Penfeld pour prendre un peu de hauteur à bord du premier téléphérique urbain de France. Inauguré il y a quelques mois, c'est déjà l'attraction principale de cette ville reconstruite après-guerre sans vraiment de grâce et qui, étonnamment, tourne le dos à la mer. À bord de ce téléphérique élégant, tout en transparence, on glisse par-dessus les bâtiments de guerre qui viennent se faire entretenir et réparer dans les bassins de Pontaniou et Tourville. On rejoint ainsi les anciens ateliers des Capucins. Cet immense hall fait furieusement penser au 104 de Paris. Comme dans les anciennes pompes funèbres parisiennes reconverties en lieu culturel, on voit aux Capucins toute la jeunesse se retrouver pour danser, pique-niquer, bavarder, répéter une pièce de théâtre... Bref s'approprier cet espace public couvert, le plus vaste d'Europe, où se trouve une immense médiathèque. Les Capucins, inaugurés début 2017, sont encore une coquille vide. Mais bientôt des restaurants, un cinéma, des boutiques (de mobilier design et de produits culturels...) et un incubateur de start-up viendront occuper les immenses espaces.

Avec les Capucins rendus aux Brestois, c'est tout un quartier qui profite de cette sève nouvelle. Par un discret escalier caché au pied des bâtiments rénovés, on accède à la rue Saint-Malo. La seule rue pavée ayant échappé aux bombardements de la Seconde Guerre mondiale. Ici habitaient des ouvriers qui se rendaient aux ateliers des Capucins pour forger l'acier des navires. Leurs maisons, en piteux état, ont failli être rasées à de maintes reprises. Mais c'était sans compter sur la résistance de Mireille Cann qui se bat pour transformer cette rue si typique en lieu arty. Elle en est aujourd'hui la seule résidente, entourée d'une myriade de chats. Mais elle est rarement seule. Des comédiens et chanteurs passent jouer dans une salle aménagée de bric et de broc. On y boit et on y mange dans des cantines qui éclosent dès le printemps revenu. Ça foisonne et ça bourgeonne. Les Beaux Dimanches attirent les curieux en famille toutes les fins de semaine, l'été. « Cette rue est le refuge des artistes, des alternatifs, des créatifs et de tous ceux qui se souviennent du passé populaire du quartier de Recouvrance », assure Mireille Cann avec une gouaille digne d'un bar à marins.

Dans le sillage des Capucins renaissants, il ne faut pas aller bien loin pour trouver d'autres Brestois qui insufflent un souffle rock'n'roll aux berges de la Penfeld. Au pied du pont de Recouvrance, Andriy Maximov vend de la viande comme Chanel des robes. Soit des côtes de boeuf surmaturées, des jambons à l'ancienne aux épices, des pastramis bons comme là-bas... De la boucherie haute couture, baptisée MeatCouture où officient des bouchers hipsters portant barbes et casquettes, tranchant un onglet au rythme d'une sono qui alterne funk, rap et pop. Un Delicatessen à la new-yorkaise, où l'on déjeune le midi de bonnes viandes, justes rôties... « Le pont de Recouvrance, c'est carrément le Brooklyn Bridge ! C'est sauvage et beau comme nulle part ailleurs. Ici on s'amuse comme des fous à proposer les meilleures viandes de France, à essayer des recettes inédites et à faire bouger les lignes », rigole ce trentenaire d'origine ukrainienne, arrivé enfant dans cette Bretagne qu'il adore et qui a fait ses classes chez les meilleurs bouchers de Paris (Hugo Desnoyer ou Yves-Marie Le Bourdonnec). On trouve le même esprit joueur chez Benoît Corre qui a lancé sa microbrasserie, artisanale et bio, à Recouvrance. Mention spéciale à la Baril White, une « blanche » illustrée avec le portrait de... Barry White ! « Produire des bières locales à Brest, c'était une évidence. On ne retrouvera pas l'esprit "port de marins" d'antan mais on construit autre chose et Brest se réveille », assure le jeune patron de la Brasserie du Baril, dont les bouteilles fleurissent sur les tables de bars du bas de la rue de Siam, le coin qui bouge le soir. On s'y retrouve pour un apéro avec vue sur le pont de Recouvrance et un arbre en métal qui domine la Penfeld. L'oeuvre de l'Espagnol Enric Ruiz Geli illustre cette renaissance de la vie autour d'une rivière, poumon et coeur de ville. Cela faisait un bail qu'on n'avait pas eu envie de rester en rade à Brest.

 

 

5 CHOSES QUE L'ON IGNORE SUR BREST

01. L'expression « tonnerre de Brest » vient du bruit que faisait le canon que l'on actionnait pour prévenir de l'évasion d'un détenu du bagne qui dominait le port.

02. Jean Gabin, qui a tourné à Brest le film Remorques, a souhaité que ses cendres soient dispersées au large de la ville. Ce qui fût fait le 18 novembre 1976.

03. Le lieutenant américain James Reese Europe (et ses musiciens du 369e régiment d'infanterie) est sans doute le premier à avoir joué du jazz en France pour le grand public, lors du débarquement des troupes américaines en décembre 1917. 800 000 soldats américains ont abordé l'Europe à Brest durant la Première Guerre mondiale.

04. Le fameux gâteau Paris-Brest fut conçu en 1910 par un pâtissier de Maisons-Laffitte en l'honneur de la course cycliste qui reliait les deux villes. Ce qui explique sa forme de roue de vélo...

05. Le Quartz, la scène nationale de Brest, est l'une plus fréquentée de France. 

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